Témoignage de GUEY Henri promo 59-63

(Extrait de son livre "A mon fils,à mon Algérie)




"Cette année scolaire 1958-59 a été aussi une année importante, mon goût pour l'aviation m'amenant à préparer le concours d'entrée à l'école de l'air du Cap Matifou. Cette école, dont les classes s’échelonnaient de la 3ème aux deux années de “ Maths Sup ” et “ Maths Spé ”, préparait aux carrières aéronautiques, de l'ajusteur jusqu’au concours d’entrée aux grandes écoles, dont l'école de l'air de Salon de Provence. Le nombre de candidats admis pour chaque promotion s’élevait à une soixantaine d'élèves. Autant dire que la sélection était serrée, mais ma motivation suffisamment importante pour que je fasse tous les efforts nécessaires à mon admission.

Je me suis donc accroché à mon année de quatrième et plus particulièrement en maths puisque l'école était à vocation scientifique. Il me fallut m'initier, seul ou avec mon frère, aux joies du dessin industriel, matière qui m'était alors inconnue, mais qui faisait partie des épreuves du concours. Et puis le jour tant redouté arriva. Je n’étais pas très sûr de ma prestation mais je fus tout de même admis.

La bonne nouvelle nous parvint quelque temps plus tard, par courrier. C'est le coeur battant la chamade que chaque midi, en rentrant de classe je passais la main dans la boite à lettre et que j'épluchais le courrier. Je ne prenais même pas la peine d'aller chercher la clef, et je m'écorchais le dos de la main à la fente de la boite à lettres pour attraper, du bout de deux doigts ce courrier qui n'en finissait pas d'arriver. Le plus énervant était quand une lettre avait la mauvaise idée de se coucher au fond de la boîte, qu'elle était inaccessible, qu'il me fallait grimper quatre à quatre, agrippé à la rampe branlante de l’escalier, les deux étages pour récupérer la clé, et redescendre tout aussi rapidement.

Enfin, un beau jour, j'ouvris, tout tremblant la lettre m'annonçant la bonne nouvelle. Et c'est tout essoufflé, arrivant à peine à articuler que je fis part à mes parents de mon admission. Ce que je ne savais pas bien encore, c'est que la troisième et dernière page de ma vie en Algérie allait s'ouvrir. Tout d'abord parce que cette école était exclusivement un internat et que j'allais y apprendre la vie en communauté et surtout la solidarité et l'amitié, face à une discipline très stricte, mais aussi face à cette guerre qui allait tous nous broyer pour un temps, qui allait réduire en partie à néant tous les efforts accomplis, et nous obliger souvent à réorienter nos carrières futures, nos vies d'adultes. Les règles de vie de l'école de l'air, étaient à la fois simples et strictes.

Nous prenions le car le lundi matin vers 6 heures 30 à la gare de l'Agha. Il faisait son chargement d'élèves, puis récupérait tous ceux qui habitaient Hussein_Dey, Maison-carrée, Fort de l'eau, traversait le village de Cap Matifou pour remonter vers notre école. Le trajet, qui longe la côte Est par la route moutonnière, si beau soit-il, avait un goût amer aux aurores parfois pluvieuses du lundi matin. Nous ne sentions même plus les effluves de l'Harrach, petite rivière qui coulait prés de l’hippodrome de Caroubier et complètement polluée par une papeterie en amont, je crois. Son eau grisâtre et puante ne semblait pas être le souci écologique majeur des propriétaires de cette usine.

Nous savions que dès notre arrivée vers sept heures à l'école, il faudrait nous ranger sous les préaux, subir l'appel du surveillant général, M.Mandrillon ou M. Garcia - nous avions le “_privilège ” d'en avoir deux... - puis regagner nos classes pour le premier cours de huit heures, ou bien prendre le chemin des ateliers lorsque l’emploi du temps le prévoyait. Je n’aimais pas débuter la semaine ou terminer le samedi après midi par une séance de quatre heures d’atelier, car notre tenue de sortie en ressortait toujours un peu flétrie. Notre emploi du temps était assez chargé :nous avions environ huit heures de cours et deux heures d’études par jour. La soirée se terminait par l’étude de dix neuf heures trente à vingt et une heures, avant de regagner nos dortoirs où l'extinction des feux avait lieu vers vingt et une heures trente.

Le matin, nous étions réveillés “ en douceur ”, à six heures par le pion frappant dans ses mains, après qu’il eût allumé toutes les lampes des dortoirs. Ceux qui ne réagissaient pas suffisamment rapidement étaient “ virés ” de leur lit en compagnie du matelas, voire même du lit complet, par leurs petits camarades. Une demi-heure plus tard, nous partions pour le réfectoire. Le petit déjeuner avalé, nous regagnions nos classes pour la demi-heure d’étude du matin jusqu’à sept heures trente, heure à partir de laquelle nous allumions notre première cigarette en attendant le début des cours à huit heures.

Cet emploi du temps s'entendait du lundi au samedi, sans aucune interruption du jeudi ou du mercredi. Inutile de dire que si nous faisions forcément du bachotage, les résultats au bac étaient à la hauteur du travail fourni. C'était peut-être une école qu'on appellerait de nos jours élitiste, mais c'était une école où trente candidats au bac Maths-Technique, faisait trente reçus. Et même si quelque fois j'ai pu me demander ce que j'étais venu faire dans cette galère, plus tard je n'ai eu qu'à m'en louer, lorsque je me suis retrouvé seul, loin de ma famille en ce début d'année scolaire, au mois d'octobre 1962, dans un des rares lycées de Toulouse qui acceptait les Pieds Noirs sans rechigner.

Aujourd'hui, je repense avec amitié au directeur du Lycée Technique Aéronautique d'Etat de la rue Mondran et à mes professeurs de physique-chimie et de maths qui, par leurs conseils et leur soutien, m'ont permis d'obtenir mon second bac sans trop de difficultés. Ils ont essayé de comprendre le drame que nous vivions, un autre élève rapatrié, Bernard Sultana et moi-même, et ont fait leur possible pour qu'il n'y ait pas de heurts avec certains autres élèves qui nous manifestaient une certaine agressivité. Ils n'ont pas, comme ce professeur de dessin industriel dont je n'ai retenu que le surnom de “ la dinde ”, ou comme ce Directeur du Lycée Déodat de Séverac de cette même ville, fait preuve d’indifférence pour ne pas dire de racisme, vis à vis des Pieds Noirs.

Ce lycée aura eu également pour élève, une douzaine d'années avant moi, Paul Goirand vétéran de l’aéronavale qui deviendra mon instructeur au brevet de pilote privé.

A Cap Matifou, nous étions contraints de travailler à un bon niveau. En plus d'un emploi du temps chargé, tout zéro, ou deux notes en dessous de cinq obtenues dans la semaine, nous condamnaient automatiquement à revenir le dimanche après midi en consigne. Si on ajoutait à cela quelques punitions pour chahut ou quelque autre acte d'indiscipline, on se retrouvait très facilement enfermé pour plusieurs semaines, entre les quatre murs d'enceinte.

Dès le jour de la rentrée, parents et élèves avions droit à une mise en condition : “Mesdames et Messieurs les parents, à compterde cet instant, vos enfants ne vous appartiennent plus ! ”. Qui ne se souvient de cette entrée en matière, plutôt déprimante, prononcée par un certain M. Mandrillon, alias “Lobo ”, alias encore “ Mandraque ”, surveillant général de son état, accueillant une nouvelle promotion. Je me souviens d’avoir eu la gorge un peu serrée, à l'énoncé de ces fortes paroles.

Et il est vrai que quitter brutalement le confort douillet du cocon familial, pour passer du lundi matin sept heures au samedi dix sept heure trente, avec un emploi du temps très chargé, enfermés dans notre chère école de l’air, n'était pas chose facile. Et pourtant nous évoquons toujours cette période avec un petit pincement au coeur, anciens élèves et professeurs, lorsqu’il nous arrive de nous rencontrer.

Mes premiers rapports avec M. Mandrillon furent un peu conflictuels et il fallut l'intervention de mes parents pour obtenir une autorisation de sortie à midi, le samedi 3 Octobre 1959 c’est à dire deux jours après la rentrée, afin de pouvoir assister au mariage de mon frère et de ma belle soeur Thérèse. Il sera par contre intraitable pour donner cette même autorisation à mes cousins Jean André, également élèves de l'ENPA (Ecole Nationale Professionnelle de l’Air)et qui ne rejoindrons la noce que tard en début de soirée.

Les promotions étaient décomptées sur une période de scolarité de quatre ans, -j'appartenais à la “ 59-63 ”- même si certains d'entre nous y ont passé six années de leur vie, soit à cause des deux années préparatoires aux grandes écoles, soit pour une spécialisation, après la terminale, de type “ radio ” ou “ Technicien d'Etudes et de Fabrication des Services Techniques Aéronautique(TEFSTA) ”. Dans tous les cas, nous étions assurés d'avoir un emploi dans le domaine aéronautique, dès nos études achevées. De même, nous serons tous incorporés dans l'armée de l'air, à l'heure du service national. En cours d'année scolaire, nous devions d'ailleurs suivre les cours de Préparation Militaire Elémentaire ou Supérieure -PME, PMS- dispensés par des sous officiers de l'armée de l'air qui venaient à l'école, entre dix sept heures trente et dix huit heures trente.
Nous transformions souvent cette formation, en franches parties de rigolade dans un chahut indescriptible, se terminant régulièrement par quelques consignes sèches...

Le mercredi midi était jour d'affichage des consignes et avertissements. Trois avertissements entraînaient automatiquement la consigne, c'est à dire la colle du dimanche après-midi. Deux consignes avaient pour conséquence la colle du dimanche complet, c'est à dire que nous ne sortions pas de quinze jours. Nous attendions donc le mercredi avec impatience, car si ce nombre fatidique de trois avertissements n'était pas atteint avant affichage, il y avait amnistie et le “ compteur ” était remis à zéro.

Dans les cas les plus graves, il y avait la consigne sèche, sans avertissement préalable et sans passer par la case départ... Lorsque cela nous arrivait, le moral descendait très vite en dessous de zéro. J'en connais qui, entrés en Octobre, n'ont “ revu les grilles de l’extérieu qu'aux vacances de Noël, Pâques ou de l'été suivant...

Qui n'a pas attendu, fébrile, le mercredi midi, pour vérifier au tableau d'affichage, le “ tableau de chasse ” de Lobo ou de quelques pions que l'on n'avait pas su convaincre de passer l'éponge ? Lorsqu'on avait échappé à la consigne du dimanche, le mercredi soir était soir d’excitation car le pion de service récupérait au dortoir nos cartes de sortie, qui nous étaient rendues le samedi, au moment d'embarquerdans les bus de retour vers Alger. Dans le cas contraire, les collés faisaient un peu “ la gueule...

Mais que de joie et de bons souvenirs avons nous accumulés pendant ces trop courtes années, années que la guerre nous a empêché de terminer. Une grande solidarité régnait entre nous. L'externat n'existant pas, toutes les conditions étaient réunies pour que la vie en communauté fonctionne au mieux. Je revois toute notre promo au grand complet, venant passer un dimanche après midi, pour n'avoir pas dénoncé un élève qui avait commis je ne sais plus quelle faute, et qui avait gardé le silence face aux interrogations du surveillant général. Lorsque j'évoque tous ces souvenirs, quantité d'images défilent à une allure vertigineuse devant mes yeux. C'est le baptême de l'air au-dessus de l'école, dès la première rentrée scolaire, dans un vieux Dakota, toussant et crachant, et qui arrivait à se maintenir en l'air plus par habitude que par conviction. Y monter relevait de l'héroïsme, et tous ceux qui en ont eu le courage, auraient dû être décorés. Ce sont les soirées bizutage dans les dortoirs, la première année comme bizut, puis les suivantes, comme bizuteur (“ b... au cirage ”, autographes de toute une promo sur la partie la plus charnue des élèves de la promo suivante, confiscation des cigarettes des élèves de 3ème qui n'avaient pas l'autorisation de fumer, chaussures à cirer ou lit des anciens à faire ...). Ce sont les batailles de polochons dans le noir total entre les deux ailes du dortoir, les “sauts en parachute ” à savoir la chute d'un individu, du haut de son armoire, sur le lit environ 1m50 plus bas, jambes à l'équerre, et dont les conséquences étaient souvent le passage extrêmement rapide du dit individu et de son sommier, au travers du lit, avec crash bruyant sur le carrelage, généralement suivi d'une consigne sèche et l’obligation de réparer les dégâts...

Ce sont aussi les nuits d'insomnie, assis au sommet des deux murs en croix des 4 WC de la salle d’eau, en équilibre instable, face à la petite lucarne donnant sur un petit coin d'étoiles, et permettant surtout l'évacuation de la fumée des cigarettes, les longues discussions sur nos petites amies respectives, mais surtout sur “ les événements ” qui étaient en train de détruire nos racines sans que nous en ayons pleinement conscience

Ce sont les tournois interclasses de foot, handball, basket et volley, avec les vedettes respectives à chaque discipline ; ce sont les soirées, trop rares, spéciales cinéma remplaçant avantageusement l'heure et demie d'étude. Ce sont les heures de gym, pendant lesquelles nous descendions de trop rares fois en footing jusqu'à la plage de Cap Matifou, prendre un petit bain de mer avant de remonter toujours en footing à l'école. Il devait bien y avoir trois à quatre km aller - retour, et nous ne pensions pas avoir des douleurs dans tout le corps quelques trente neuf ans plus tard...

Ce sont les heures d'atelier, où l'établi servait de batterie, et la demi-douce et le pinceau à copeaux, de baguettes de tambour, rythmant les improvisations de quelques-uns : “_tu veux une ficelle ?... ” demandait M._Miralès, professeur d'ajustage, pour interrompre le concert de sifflets.

Ce même établi pouvait également servir d'oreiller (et oui !) à ce cher Cruciani Dominique, Corse de son état, et qui était une des très rares personnes qu'il m'ait été donné de voir dormir... debout. Pendant les études du soir, il faisait ses devoirs le plus vite possible, pour pouvoir ensuite dormir, affalé sur son bureau. Le travail exigé étant au dessus de ses forces, il quittera notre école en cours d'année scolaire.

Qu'elles étaient bonnes, les fèves du champ situé derrière le hangar à bain de soude. Tous les élèves qui étaient en stage d'ajustage aéro avec M. Cuenca, avaient, on se demande bien pourquoi, toujours une pièce de retard à passer au bain. Dommage qu'il ne manquât que le sel, le pain et le beurre...

Tous les ans, nous organisions la fête de l'école, en général dans une des plus belles salles d’Alger. Nous la manquions rarement car c'était un peu le moyen de se retrouver tous, dans un contexte différent du travail scolaire quotidien. Cette fête avait quelque chose d'un peu désuet, vue avec trente neuf ans de recul. Nous étions fiers d'appartenir à cette école et nous voulions le faire savoir. Aussi chacun se mettait sur son trente et un pour faire danser sa petite copine, surtout lorsque cette fête avait lieu dans les jardins et sous les énormes lustres de l’hôtel St Georges, proche de la Redoute, et qui abritait régulièrement, et abrite toujours sans doute, tous les correspondants et journalistes français et étrangers.

Quantité de noms et de visages me reviennent en mémoire lorsque je repense à cette époque : Mesdames Haurie et Abdelslam dont les cours de Physique ou de Français, se transformaient régulièrement en expérience de Newton, afin de vérifier qu'un stylo chutant deson pupitre, atterrissait toujours sur le sol, peutêtre à cause de l'attraction terrestre mais de préférence à hauteur des genoux de ces dames. M. Trainar, prof de Français et actuel Président de notre Amicale des Anciens Elèves de l’ENPA, M. Seban, prof de chimie, postillonnant allègrement, dont le cours servait aussi à comptabiliser le nombre de postillons que l'on cerclait au stylo sur son cahier. Le gagnant était bien sûr celui qui en avait le plus grand nombre à la fin du cours. Les élèves du premier rang, où ceux de l'allée centrale de l’amphithéâtre étaient à ce titre, privilégiés . M.Crisias, prof de dessin industriel, plus connu sous le nom de “ Cricri ”, et à qui nous avons fait les pires farces, parce que trop gentil avec ses élèves, Razeau, Garcia, Raziguade, notre prof d'histoire géographie, dit “ Croquignol ” à cause de son physique, M. Pauchet, directeur des études, suivi en permanence de son petit chien blanc, M. Malaterre Directeur et fondateur de l'école, “ P’tit homme ” professeur de technologie
aéronautique dont le nom m’échappe mais pas la taille, conduisant une très ancienne voiture noire et “ carrée ”, “ style 201... ” au travers du pare brise de laquelle on n’apercevait que ses yeux, (on se demandait toujours s’il ne conduisait pas debout...), maniaque de la propreté de sa classe
et alignant les consignes plus vite que son ombre. Et puis tous les copains de classe, Esplat, Galiana, Lachèvre, Peraud, Gumy, Gasso, Mans, Guargilo, Juras, Larbi, Maloum, Mazouzi, certains devenus de vrais amis, d'autres perdus de vue, d'autres disparus trop jeunes...

On pourrait en faire un inventaire à la Prévert.

A l’époque du ramadan, un grand déménagement rituel avait lieu. Tous les élèves Musulmans étaient regroupés dans le même dortoir. Cette mesure leur permettait de se rendre de nuit au réfectoire pour se restaurer et boire, activités qui leur étaient interdites du lever au coucher du soleil.

Notre école était particulièrement bien équipée en matériel. Nous disposions d'ateliers vastes et bien aménagés. Toute l'aile gauche du bâtiment principal était occupée par l'ajustage, avec ses machines outils, tours, fraiseuses, étaux limeurs, rectifieuses etc. La partie centrale était réservée à la cellule des avions. Il y en avait d'ailleurs cinq ou six, bien alignés, des monoplaces à hélice quatre pales, datant de la dernière guerre, ainsi qu'un plus récent à réaction, un super mystère B2, je crois. Enfin la partie droite était réservée à tout ce qui est électrique à bord d'un avion. Les élèves se spécialisant dans l'entretien des moteurs, disposaient, dans un autre bâtiment, de moteurs et d'un banc d'essai pour les tests.
Quelque part dans les ateliers, trônait un ou deux exemplaires des V1 de la dernière guerre.

Enfin un troisième bâtiment regroupait tous les équipements de bord ainsi qu'un ensemble de matériels permettant de tester la résistance des matériaux. Nous disposions aussi d'une petite soufflerie permettant de visualiser l'écoulement de l'air sur des maquettes d'avions.

Sur des parkings en plein air, trônait tout un éventail d'avions sur lesquels nous avions la possibilité de nous faire la main, T6 réformés, plus ou moins touchés lors d'opérations aériennes contre le FLN, et même deux Vampires de l'aéronavale. Les hélicoptères n'étaient pas oubliés puisque nous disposions d'un vieux Sykorski, ainsi que d'une Alouette pour les travaux pratiques.

Un jour, un gros Sykorski de l'armée fera un atterrissage d'urgence sur notre terrain d'athlétisme, mitoyen aux ateliers, suite à la perte d'une pale de son rotor. Nous aurons, grâce à cet incident heureusement sans gravité pour l'équipage, le loisir d'assister à un ballet d'autres hélicoptères venant déposer le matériel et les techniciens chargés de la réparation, puis aux essais, en vol stationnaire à environ un mètre du sol, avant le retour vers sa base.

A chaque fin de séance d'atelier, il nous fallait laisser les locaux dans un état de propreté irréprochable et chacun avait une tâche bien définie, en plus de son matériel et de sa place à ranger. Mais le pire était en fin de semaine, lorsque l'on était tiré au sort pour nettoyer un des avions de l'atelier. La plaisanterie consistait à passer sur toute la cellule, un chiffon imbibé de gas-oil afin d'éviter la rouille, et pour donner à l'aluminium un bel aspect brillant. Ce travail exigeait d'être un peu acrobate, et surtout, était long et fort salissant.

Ma vie à l'école de l'air s'est ainsi étirée sur presque trois ans, dans notre microcosme, sans que nous puissions participer à toute notre histoire qui se déroulait à l'extérieur. Nous en avions les échos par la radio que nous écoutions discrètement le soir au dortoir ou, de temps à autre par quelques explosions que nous entendions en provenance d'Alger situé juste en face dans la baie, et dont nous avions une vue superbe, à travers les barreaux de l'enceinte de l'école.

Mais de par notre isolement, nous avons vécu un peu en marge, les trois dernières années de notre histoire, et lorsque nous avons pu y participer, cela ne se faisait que les dimanches où nous n’étions pas “ collés ”, ou pendant les vacances scolaires. Les barricades de 1960, le putsch des généraux Challe, Salan, Jouhaud et Zeller en 1961, je ne les ai vécus que partiellement. Mais ils restent malgré tout dans mes souvenirs, des moments intenses d'espoir et de désespoir alternés. La France n'a voulu voir, à travers ces événements, que des actions fascistes, bien orchestrées en ce sens par la propagande de de Gaulle et de tous les partis politiques. Que des Français soient réduits au pire des désespoirs, se fassent assassiner, peu importait. Peu importait maintenant tous les morts qui jalonnaient les sept années de guerre qui venaient de s'écouler, peu importait tous les jeunes qui avaient été volontairement envoyés se battre pour rien."